La rue, richesse du patrimoine des villes et des quartiers.
Un espace symbolique.
Dès l’origine des cités, la rue est un élément structurant comme on peut le voir dans la ville romaine avec l’importance du forum et du decumanus.
Pendant longtemps, dans l’Antiquité et au Moyen âge, elle était un espace privé qui restait le seul moyen d’accès à d’autres espaces, propriétés privées bâties ou non.
Avec la révolution du monde moderne et le développement de l’habitation, la naissance du logement individuel et familial devient majoritaire, l’usage de la rue se modifie profondément. Elle se déshumanise à mesure qu’elle se remplit et se construit.
Après la seconde guerre mondiale, la rue devient « centre des affaires ». Apparaissent alors les notions de largeur, de longueur et de bordures (allées et arbres) distinguant la rue de l’avenue ou du boulevard. Néanmoins il s’agit quand même fondamentalement d’une réalité, la rue est devenue un espace public servant principalement à la circulation.
A partir des années 1960 commence à s’opérer un reflux de l’urbanisme moderne et le retour de la valeur paysagère. Dans les années 1970, s’accentue l’arrêt de la politique de table rase et de l’urbanisme des tours et des barres au profit de réflexions plus respectueuses mais c’est à partir de 2003 et le travail de « Koltirine » que la rue est progressivement redevenue un élément structurant des règlements d’urbanisme.
Néanmoins, la reconnaissance de la valeur de la rue comme lieu de vie a mis plus de temps à s’installer, mais c’est à présent un lieu commun que de présenter la rue comme un espace essentiel du lien social.
Ce mouvement a été une des bases de « la gentrification ». Ce terme désigne l’évolution de quartiers populaires suite à l’arrivée de catégories sociales plus favorisées revalorisant certains logements et important des modes de vie et de consommation différents. Il est utilisé ici dans le sens très large d’élévation de la position sociale des quartiers populaires anciens. Préféré à celui d’ “embourgeoisement”, ce terme évoque une élévation qui peut reposer sur l’arrivée de populations post-étudiantes aux revenus modérés voire modestes.
Après la ruée vers les grandes villes à cause du travail, ou encore le besoin de fuir la dure réalité de l’éloignement à la culture, à la vie nocturne, aux différents centres d’intérêt que proposaient les villes, l’effet inverse s’accentue depuis une dizaine d’années.
Si la ville a connu un boom de « néo-urbains », aujourd’hui les villes moyennes et les campagnes connaissent à leur tour l’arrivée massive de « néo-ruraux ».
Bien que mal dotées d’infrastructures de services, ces dernières offrent un paysage urbain traditionnel et des espaces publics très vivants ainsi qu’un patrimoine architectural riche, des caractéristiques que le retour à la rue a fortement mises en avant. Ce mouvement a ainsi permis à certaines couches moyennes, non seulement de justifier leur présence dans des quartiers populaires, mais aussi de construire une image attrayante de leur environnement.
La revanche de nos campagnes
Suite à l’arrivée de la pandémie COVID 19, cet exode s’accélère à vitesse grand V et les petites collectivités prennent leur revanche en confirmant ce phénomène.
Ainsi des campagnes de rénovation, d’amélioration du cadre de vie et mise à disposition de services publics sont créées pour attirer une population urbaine qui va apporter à nouveau de la vie dans les petites villes et villages.
La peur de l’épidémie, la concentration de population et le manque d’espace des grandes villes confirment que la rue devient un élément incontournable de l’aménagement urbain. Les urbanistes ont la délicate mission aujourd’hui de réinventer les villes avec des espaces dédiés à la flânerie, aux balades insolites mais surtout de créer des lieux paisibles pour un retour vers la nature.
Un mouvement s’engage pour redonner à la rue sa propriété collective, l’usage piétonnier chasse le véhicule envahissant. Cet engouement sera encore plus perceptible dans les mois à venir avec la levée des restrictions et le besoin de renouer avec l’extérieur sans contrainte.
Ainsi la rue reprendra des couleurs et redeviendra ce lieu de vie, d’échange et de rencontre, un lieu de festivités, de réjouissances et de lien social.
Il nous faudra composer avec tous les usages possibles pour que chaque usager puisse se retrouver et accepter les codes et les règles pour la sécurité de tous.
En conclusion, la rue fait partie de la richesse du patrimoine des villes et de leurs quartiers. Elle en est un élément majeur de sa cohésion et pourtant peu d’article, peu de livre traitent de « la rue ».
Il est important de souligner tout l’intérêt qu’il y a à inscrire “la rue” dans les territoires, les objets et les acteurs de l’histoire urbaine, en retenant trois approches :
la rue comme espace matériel aménagé, la rue de l’urbaniste
la rue comme espace social, lieu d’habitation et lieu de fréquentation et d’usage, le lieu du commerce, de l’échange, des rencontres et des solidarités, mais parfois aussi de l’exclusion
la rue enfin comme espace symbolique, celui de la démonstration, de l’étalage et de l’affrontement des pouvoirs, la rue de l’apparence, du défilé, de la manifestation, de la révolte.